Quelques données chiffrées
Détail des observations de grand murin
Détail des observations de petit murin
Gîtes de grand murin
Gîtes de petit murin
Ces deux espèces sont très proches morphologiquement et leur identification sur le terrain est délicate (Arlettaz et al., 1991). De ce fait, dans la présente monographie, elles sont traitées conjointement et des précisions spécifiques sont apportées quand elles existent.
Première mention en Rhône-Alpes
La première mention que l’on peut attribuer au groupe des « murins de grande taille » date de 1881 sur la commune de Berrias-et-Casteljau en Ardèche (de Malbos 1881 in Faugier & Issartel, 1993).
La première mention de grand murin date du 15 juin 1909 et se rapporte à un individu en collection au muséum d’histoire naturelle de Grenoble. La première mention de petit murin date du 23 juin 1969 sur la commune de Dizimieu en Isère où Yves Tupinier trouve un cadavre dans une grotte accueillant une colonie.
Distribution actuelle
Grand murin
Le grand murin est présent dans la plupart des pays européens. Il atteint sa limite orientale de répartition en Pologne et en Ukraine et il est également noté en Turquie. En Rhône-Alpes, il a été contacté sur toute la région, des zones méditerranéennes aux vallées alpines. Lié aux milieux forestiers au sous-bois dégagé dans lesquels il capture des Coléoptères, le grand murin trouve des secteurs favorables pour chasser sur l’ensemble de la région. Il semble plus rare dans la Loire, le Rhône, la partie ouest de l’Isère et de l’Ain mais ceci est probablement le reflet de la pression de prospection moins importante que sur le reste de la région. En effet, il n’est pas exclu que des colonies soient présentes dans les secteurs de forêts de feuillus, notamment des Chambaran, des Monts du Lyonnais et du Forez ou encore de la Bresse.
Régulièrement contacté en chasse à plus de 1500 mètres, l’altitude ne semble pas être un facteur limitant à son activité de chasse mais elle doit l’être pour l’installation des colonies puisque la majorité de celles-ci est située en-dessous de 700 mètres. La colonie la plus en altitude connue actuellement est dans un bâtiment à 890 mètres.
Petit murin
Le petit murin quant à lui est présent sur tout le sud du paléarctique occidental (mais est absent du Maghreb) et atteint sa limite septentrionale de répartition en Slovaquie et sa limite orientale en Inde. En outre, quelques populations, isolées (en l’état actuel des connaissances), sont connues à la frontière du Kazakhstan et de la Russie, à l’est de la Mongolie, en Chine…
En Rhône-Alpes, la répartition de l’espèce suit essentiellement celle des principaux massifs karstiques mais ceci peut possiblement découler d’un biais dû à la pression de prospection. Il est ainsi présent au sud d’une diagonale reliant le sud-ouest au nord-est de la région.
En Ardèche, il occupe la moitié sud-est du département. Les populations drômoises sont présentes dans les secteurs de déprise agricole ou de trufficulture. Les plaines de cultures intensives et le plateau de Chambaran sont évités. En Isère, les observations réalisées sur le Vercors peuvent être rattachées à une population drômoise gîtant dans le Diois. Un noyau de population occupe le secteur de l’Oisans mais d’autres populations sont sans doute à identifier. L’espèce est également présente en Chartreuse, dans les Bauges ainsi qu’en Maurienne et Tarentaise. Aucune colonie n’est connue à ce jour dans l’Ain et la Haute-Savoie alors que les milieux semblent favorables à l’espèce et qu’il est fait état de sa présence. L’espèce semble quasiment absente du Rhône et aucune donnée n’a été collectée dans la Loire.
Le petit murin exploite les habitats prairiaux et buissonnants où il capture des Orthoptères. Tout comme pour le grand murin, l’altitude ne semple pas être un facteur limitant pour l’activité de chasse des individus mais, pour les colonies de reproduction, les gîtes les plus hauts sont installés à près de 900 mètres d’altitude dans la Drôme et en Savoie.
Dans les départements de l’Ardèche, la Drôme, l’Isère et la Savoie, les deux espèces sont présentes dans les mêmes gîtes de parturition. Toutefois, dans la majorité des cas, la proportion des individus de chacune d’elles n’est pas connue.
Evolution des connaissances et des effectifs en Rhône-Alpes
En raison de leur taille, de leur manque de discrétion et de l’importance des tas de guano, les murins de grande taille sont facilement détectables en période de reproduction (que ce soit dans les bâtiments ou dans les gîtes souterrains), ce qui explique les données relativement anciennes et nombreuses disponibles. Pour les mêmes raisons, 2612 individus ont été bagués, principalement entre 1950 et 1960 (voir la partie sur la pratique historique du baguage qui valorise ces données). Au cours de cette période, il est réaliste de penser que la distinction entre les deux espèces n’a pas été faite, tous les individus ayant été identifiés comme étant des grands murins, y-compris dans des secteurs où le petit murin est actuellement présent. Il semble même probable que les populations de petits murins étaient alors plus importantes qu’à l’heure actuelle en raison de la prédominance des milieux ouverts.
À partir de 1980, les données ont augmenté régulièrement en raison d’une pression de prospection grandissante. Les colonies de mise-bas de certains secteurs ont été découvertes lors de prospections systématiques des églises et plus ponctuellement grâce à la télémétrie. Cette dernière a permis de localiser deux colonies de reproduction (Drôme et Savoie) et probablement une troisième en Saône et Loire, à la limite du département de l’Ain, mais le bâtiment n’a pu être visité.
En complément, les opérations de captures réalisées plus fréquemment en forêt au cours de ces dernières années ont fourni des données supplémentaires de répartition.
Du fait de la mixité de nombreuses colonies, l’évaluation des effectifs régionaux des deux espèces est très délicate. En période de parturition, un minimum de 15 500 murins de grande taille a été recensé pour l’ensemble des colonies avec, a minima, une identification certaine de 3800 grands murins et 800 petits murins. En raison de l’occupation des mêmes gîtes par les deux espèces et du décalage dans la phénologie de reproduction des deux espèces (et donc d’occupation des gîtes – cf. infra), les effectifs reproducteurs de petit murin sont probablement sous-estimés conduisant ainsi également à une sous-estimation de la population de murins de grande taille.
Les effectifs observés en périodes hivernale et de transit sont extrêmement faibles au regard des effectifs estivaux. En effet, environ 500 murins de grande taille seulement sont dénombrés en hiver.
Malgré un nombre de données conséquent, et compte tenu des difficultés mentionnées ci-dessus, l’évaluation précise de l’évolution des effectifs régionaux est impossible. Cependant, on peut faire état de la désertion, plus ou moins récente, d’une dizaine de gîtes ayant abrité par le passé des colonies de parturition. Les effectifs pouvaient compter entre quelques dizaines et un millier d’individus (voir la partie sur les colonies disparues).
Dans certains cas, des groupes ont été retrouvés dans des sites à proximité mais ce n’est malheureusement pas une généralité.
À titre d’exemple, un inventaire des églises de Savoie, conduit en 1998 et 1999 (Vincent, 1999) a permis de constater d’anciens indices de présence de colonies de murins de grande taille dans 10 % des 300 églises visitées. Ces indices témoignaient de disparitions relativement « anciennes » (plusieurs dizaines d’années).
Les causes de disparitions sont diverses : rénovation de toiture, engrillagement de clocher, dérangement voire destruction des cavités etc, mais dans certains cas rien ne permet d’expliquer cette disparition qui pourrait traduire soit un changement dans les habitudes des murins, soit une baisse de la population.
L’évolution des paysages (déprise agricole) et la reconquête de la forêt sur des surfaces importantes a probablement des effets négatifs sur les populations de petits murins et positifs sur celles de grands murins. À titre d’exemple, 35 % de la surface de la région est occupée par de la forêt et cette surface a augmenté de 10 % au cours de la dernière décennie (CRPF, 2006). Aucun élément chiffré ne permet cependant d’étayer cette hypothèse.
Quelques données récentes, en provenance du département du Rhône, semblent indiquer une augmentation lente mais régulière des effectifs dénombrés en période hivernale (moins de 20 individus dénombrés dans six sites témoins en 1988 à près de 100 en 2013). Ces données semblent concerner le grand murin mais elles sont trop ponctuelles pour être extrapolées à l’ensemble de la région.
Acquisition des données en Rhône-Alpes
L’effort de prospection est très inégalement réparti dans la région : les deux tiers des observations de murins de grande taille proviennent des départements de l’Ardèche, de la Drôme et du Rhône. Paradoxalement, aucune colonie de reproduction n’est connue dans le Rhône et l’essentiel des données de ce département est issu des suivis hivernaux.
Le nombre de données par département traduit la pression de prospection et non l’abondance respective des espèces dans chacun d’eux. En effet, de belles populations existent en Savoie mais celles-ci fournissent moins de 10 % des observations. Pour les deux espèces confondues, près des trois quarts des observations ont été réalisés dans des gîtes. Les données collectées grâce à la détection acoustique sont marginales (8 % des contacts) et la capture au filet fournit 16 % des mentions.
À l’échelle de la région, les prospections menées sur les secteurs les moins connus ont permis de faire progresser la connaissance de la distribution effective de ces espèces. On note un gain de 143 mailles depuis 2001 pour les deux espèces confondues avec respectivement 71 mailles pour le grand murin et 24 mailles pour le petit murin. Ceci correspond à une progression qui permet d’atteindre 315 mailles soit 61 % de couverture relative de la région pour les deux espèces confondues et respectivement 36 et 18 % pour le grand et le petit murin.
Phénologie d'observation en Rhône-Alpes
A l’heure actuelle, 2605 observations ont été collectées dans 493 gîtes de la région.
Les murins de grande taille font partie des espèces observées toute l’année en Rhône-Alpes. Les observations hivernales sont régulières, toujours en raison de la facilité de détection des deux espèces dans les gîtes souterrains. La période estivale fournit 40 % des observations et la période hivernale 30 % (dont la moitié en février). Les périodes de transits automnal et printanier fournissent respectivement 20 et 10 % des mentions.
Peu de gîtes permettant des observations dans de bonnes conditions ont été suivis de manière régulière sur plusieurs années en période de reproduction. Des données précises sur la phénologie sont disponibles pour deux gîtes (un dans le sud de la Drôme et un en Isère) ; données qui, complétées par celles provenant des opérations de captures, fournissent les informations suivantes :
- La parturition est plus précoce chez le grand murin que chez le petit murin. En effet, les premières naissances chez le grand murin sont notées fin mai – début juin en Isère et les premiers jeunes volants à partir de la fin du mois de juin. Le gîte suivi dans le sud de la Drôme, a permis de montrer que les premières mises-bas ont lieu dans la première décade de mai et les envols les plus précoces sont notés le 11 juin.
- Chez le petit murin, les premières naissances ont été constatées fin juin dans le sud de la Drôme et elles semblent intervenir principalement en juillet en Isère et s’étaler jusqu’au milieu du mois d’août puisque des jeunes venant de naître ont pu être observés fin août.
Quelques données collectées en période automnale tendent à faire penser que le grand murin pourrait avoir un comportement de swarming, mais trop peu d’informations sont disponibles à l’heure actuelle pour étayer cette hypothèse.
Gîtes utilisés par les deux espèces en Rhône-Alpes
Hors période estivale, les gîtes connus sont majoritairement des gîtes souterrains (mines, tunnels, grottes…) mais aussi, plus rarement, des ponts et des gîtes en milieu bâti. En outre, les deux espèces fréquentent régulièrement des gîtes rupestres comme cela a pu être observé plusieurs fois dans la région.
Paradoxalement, les effectifs hivernaux les plus importants sont observés dans des départements présentant peu de cavités : la Loire et le Rhône (respectivement 125 et 197 individus). Dans les autres départements de la région, moins de 100 individus y sont observés à cette saison. Il est probable que dans les zones karstiques, grand et petit murin utilisent des anfractuosités (en grottes ou en falaises) impossibles à contrôler du fait de leur inaccessibilité.
Les données concernent très majoritairement des individus isolés ou de petits groupes. Les effectifs maxima sont observés dans un ancien tunnel ferroviaire du massif du Pilat et dans un complexe minier du Beaujolais dans lesquels jusqu’à 50 individus peuvent y être dénombrés !
En période estivale, divers types de gîtes sont régulièrement fréquentés par les murins de grande taille : ponts (dans les tabliers creux ou les disjointements), caves, mines, grottes, combles d’églises… On y observe généralement des individus isolés ou, parfois, en petits groupes. Il s’agit alors de mâles ou de femelles nullipares mais, plus tard dans la saison, on peut noter la présence de jeunes et de femelles reproductrices après émancipation des juvéniles.
Les deux tiers des colonies de parturition sont situés dans des ouvrages anthropiques (combles d’église ou d’habitation, caves, tunnels…). Le département de l’Ardèche est le principal à accueillir des colonies en cavités naturelles : 12 grottes ont hébergé au moins une année une colonie alors que seulement deux cavités sont connues dans la Drôme et une dans l’Ain et l’Isère. En outre, une colonie a récemment été découverte dans un pont routier (pont à tablier creux) en Drôme.
La plupart des gîtes de reproduction se situe en dessous de 500 mètres d’altitude, le maximum étant de 890 mètres dans une église de Savoie. Dans les secteurs de montagne, les colonies sont installées sous des toitures de bâtiments en fond de vallée. Il s’agit probablement des seuls lieux qui leur fournissent des températures favorables à l’élevage des jeunes. À l’exception d’une grotte drômoise située à 870 mètres d’altitude, tous les gîtes souterrains naturels ou artificiels sont localisés à moins de 400 mètres d’altitude.
La taille des colonies de parturition connues varie de quelques dizaines à plus d’un millier d’individus adultes, mais la majorité n’en compte que quelques centaines. Quatre gîtes, tous situés en Ardèche ou dans la Drôme, accueillent des groupes de plus de 1000 murins de grande taille. Cette notion d’effectif des colonies est à relativiser en raison du fonctionnement en réseau de certaines colonies. En effet, il est possible que l’effectif d’une colonie soit plus important que ce que l’on voit au jour de la visite du gîte principal du fait qu’un ou plusieurs groupes peuvent se trouver répartis dans d’autres gîtes proches (gîtes annexes). C’est le cas sur un site drômois qui comporte un gîte accueillant habituellement un millier d’adultes et un autre à proximité qui n’en accueille qu’une centaine. Un fonctionnement similaire est également constaté en Tarentaise (Savoie) mais avec des effectifs moindres.
Peu d’observations permettent de décrire la phénologie d’occupation estivale des gîtes. Une colonie située à Bourg-d’Oisans a été étudiée conjointement par le Parc national des Ecrins, le Groupe Chiroptères de Provence et le Groupe Chiroptères Rhône-Alpes. Les deux espèces occupent le gîte de parturition de manière asynchrone : en début de saison (mai – début juin) seuls les grands murins semblent être présents, en juin et juillet les deux espèces y sont observées et dans le courant du mois d’août il ne reste que des petits murins et des jeunes grands murins, les adultes de cette dernière espèce semblant avoir désertés le gîte. À l’heure actuelle, il n’est pas possible de dire si les individus présents à l’automne appartiennent aux deux espèces et s’il s’agit de jeunes et/ou d’adultes.
Sur cette même colonie, les suivis télémétriques ont mis en évidence l’utilisation d’un réseau de gîtes, y compris en période estivale. En effet, certaines journées, des femelles ont quitté le gîte principal (très probablement avec leur jeune) pour aller rejoindre un autre gîte, situé à quelques kilomètres et fréquenté par une cinquantaine d’individus. En complément, consécutivement à certaines nuits de mauvais temps (températures froides et pluie), quelques femelles ne sont pas revenues à la colonie et ont gîté à proximité des terrains de chasse sous des écailles de rochers dans des falaises d’ardoise. Les suivis réalisés avec les caméras de vidéosurveillance installées dans le gîte de la colonie ont permis de confirmer que ces femelles avaient bien des jeunes qui sont ainsi restés seuls jusqu’à trois nuits et deux journées consécutives.
Habitats exploités en phase d'activité en Rhône-Alpes
Deux études sur le régime alimentaire ont été conduites en Rhône-Alpes : en 1984 à Annonay (Pont & Moulin, 1986a ; Pont & Moulin, 1986b) et en 2011 dans l’Oisans (Güttinger, 2011).
Les auteurs de la première étude ont mis en évidence la consommation de Coléoptères et d’Orthoptères. L’interprétation des résultats de cette étude novatrice est délicate car l’identification précise des individus à l’origine du guano récoltée n’est pas connue. Les deux espèces de murins pourraient bien être présentes sur le site de récolte du guano. En complément, ils rapportent un cas de consommation de musaraigne.
Grand murin
Réputé pour consommer des carabes forestiers, le grand murin est essentiellement noté en activité de chasse dans des forêts de feuillus au sous-bois dégagé. Les opérations de télémétrie conduites dans le massif des Ecrins complètent ces résultats et semblent attester que la plupart des individus suivis ait chassé en forêt bien qu’il n’a jamais été possible de le certifier formellement, des secteurs de prairies étant toujours présents à proximité. Par ailleurs, la réalisation d’une étude du régime alimentaire à partir du guano témoigne de la prédominance des carabes dans le spectre alimentaire des grands murins de Bourg-d’Oisans. Cependant, vu la diversité spécifique de ce taxon, il n’a pas été possible de déterminer plus finement les espèces consommées.
Le grand murin présente d’importantes capacités de déplacement. Les individus suivis sur la colonie de Bourg-d’Oisans (n=13) sont allés chasser jusqu’à 35 kilomètres de leur gîte et ont fait jusqu’à plus de 1000 mètres de dénivelée dans la nuit. Cette distance a été calculée en suivant les vallées (elle est de 24 kilomètres à vol d’oiseau), selon le trajet emprunté par les chauves-souris. Ces dernières allaient généralement rejoindre des secteurs situés à l’extérieur du massif des Ecrins, vraisemblablement pour y trouver des températures plus clémentes et une ressource alimentaire plus abondante et ce aussi bien au moins de juin qu’en juillet. Les stratégies d’exploitation des terrains de chasse différaient en fonction des individus : certains ont chassé plusieurs nuits consécutives sur la même zone tandis que d’autres ont fréquenté différentes zones éloignées dans la même nuit. Dans ce second cas, une femelle a exploité des secteurs localisés sur sa route de vol.
Les importantes capacités de déplacement de l’espèce lui permettent aussi d’exploiter des secteurs en altitude. Elle est en effet régulièrement contactée à plus de 1000 mètres, par exemple dans le Bugey, la haute-chaine du Jura, le plateau ardéchois… le maximum étant de 1814 mètres à la Chapelle-d’Abondance en Haute-Savoie. Des individus suivis par radiopistage à partir de leur gîte situé à 400 mètres d’altitude à Die (Drôme) sont allés chasser plusieurs nuits de suite sur le plateau du Vercors à 1400 mètres d’altitude.
Petit murin
Le petit murin exploite les prairies et pelouses, en plaine ou en altitude. À titre d’exemple des individus ont été contactés sur les plateaux calcaires du Vercors à plus de 1000 mètres d’altitude ou encore dans les secteurs de déprise agricole dans les vallées (les premiers stades de fermeture de ces milieux restent favorables au petit murin). Les mosaïques de milieux offrant des strates herbacées, des landes à thyms ou à genêts et des arbustes sont favorables à l’espèce pour la chasse.
L’étude du régime alimentaire réalisée sur le guano collecté dans l’Oisans en juillet et en août a mis en évidence la consommation quasi-exclusive de sauterelles de la famille des Tettigonidés. Des restes de grillons, de chenilles et d’araignées ont également été identifiés. La forte diversité de ces familles n’apporte malheureusement pas plus d’information sur les milieux fréquentés par les proies…
Des suivis télémétriques ont été conduits dans deux secteurs : la vallée de la Roanne (Drôme) et l’Oisans (Isère).
Dans la vallée de la Roanne, deux mâles chassaient à moins d’un kilomètre autour de leur gîte, sur des prairies de fauche ou pâturées par des moutons alors que deux femelles capturées sur le même secteur se sont éloignées jusqu’à 15 kilomètres de leur gîte pour se rendre sur leurs terrains de chasse. Elles ont exploité des prairies de fauche et de pâture dont certaines en phase de colonisation par les genêts cendrés. Certaines zones de chasse étaient situées à près de 1200 mètres d’altitude.
La plupart des femelles équipées dans l’Oisans (n=5) sont allées chasser sur des secteurs de végétation rase dans la réserve intégrale du lac du Lauvitel (1650 mètres d’altitude) située à dix kilomètres à vol d’oiseau du gîte. Des prairies de fauche, dans la vallée de la Romanche, ou encore des secteurs de végétation rase ou arbustive dans des secteurs de pente, ont également été exploités
Menaces pesant sur ces deux espèces en Rhône-Alpes
La majorité des gîtes de reproduction connus est située dans les bâtiments. Au regard de la répartition actuelle des deux espèces, de nombreuses autres colonies (de grand murin notamment) sont probablement encore à découvrir. La menace la plus importante sur ces gîtes est leur disparition pour cause d’aménagement (combles des maisons notamment, comme cela a été le cas sur une colonie à Saint-Jean-de-Maurienne) ou encore du fait de la réalisation de travaux en période de présence des chauves-souris (réfection de toiture par exemple).
La majorité des gîtes cavernicoles connus actuellement fait l’objet de mesures de protection. Les cavités ne faisant pas l’objet de protection à ce jour ne semblent pas particulièrement dérangées, à l’exception d’une grotte ardéchoise. Un suivi de la fréquentation est en cours pour évaluer la nécessité de mise en protection de cette cavité, qui accueille également une colonie de mise-bas de murin de Capaccini.
En complément, il semblerait que les falaises soient régulièrement utilisées par ces deux espèces, aussi, les travaux de sécurisation engendrés par la présence de routes pourraient détruire des gîtes mais aussi et surtout des individus. Une réflexion sur la prise en compte de ces espèces en amont de ce type de travaux est indispensable.
Les deux espèces ne fréquentent pas les mêmes terrains de chasse. Pour le grand murin, espèce principalement forestière, il ne semble pas exister de menace avérée. La dynamique actuelle de reconquête des forêts pourrait être favorable à l’espèce mais il conviendra cependant d’être vigilant sur l’exploitation forestière qui pourrait, localement, conduire à la disparation de sa ressource alimentaire.
Le petit murin quant à lui est victime de la déprise agricole et de la reconquête de son habitat de prédilection par la forêt… Bien que les Orthoptères apprécient les buissons pour se percher afin de striduler, la déprise agricole et l’embroussaillement qui s’ensuivent conduisent à une baisse significative de la production herbacée consommée par les sauterelles. La situation des populations de l’espèce est très préoccupante. En effet, le maintien des populations dépendra probablement de celui des élevages dans ces zones défavorisées, à condition que les pratiques agricoles soient propices au développement des Orthoptères et que l’offre en gîtes reste suffisante. La rareté de l’espèce et la disparition de ses habitats en font une espèce prioritaire dans les réflexions à mener sur la conservation des chauves-souris en Rhône-Alpes.
Petit et grand murin sont probablement sensibles aux traitements antiparasitaires qui peuvent être faits sur les troupeaux. Des réflexions pourraient être engagées avec la profession agricole pour trouver des solutions afin d’en limiter l’impact, en adaptant le type et les périodes de traitement.
Au même titre que les autres espèces, l’urbanisation croissante, l’intensification de l’agriculture, les traitements chimiques et le développement des activités humaines de manière plus générales ont probablement un effet négatif. De même, les ruptures de corridors et la fragmentation des habitats semblent représenter une menace.
Des mâles de grand murin arboricoles ?
En juillet 2009, dans le massif du Revermont (Ain), sept mâles de grands murins se sont fait capturer au filet dès la tombée de la nuit. Le site était éloigné de toute habitation. Ces mâles étaient-ils dans un ou des gîtes arboricoles ? Le mystère reste entier. Ce comportement, connu dans la bibliographie, a été observé une fois en Rhône-Alpes avec un mâle de grand murin dans un gîte artificiel dans les Ecouges (Isère).
Protection de ces deux espèces en Rhône-Alpes
En raison des capacités des murins de grande taille à exploiter un important domaine vital, les actions de protection de celui-ci sont difficiles à mettre en œuvre. Ceci explique que l’essentiel des actions s’est concentré jusqu’à présent sur les gîtes.
Une cavité située dans l’Ain, à la limite avec le département de la Savoie, a été protégée par la mise en place d’une grille sur le chemin d’accès. Malgré cela, une fréquentation régulière du porche par des pratiquants de l’escalade a conduit à la désertion du site par les animaux.
Dans la vallée du Chassezac, en Ardèche, une colonie utilise alternativement deux cavités dont l’une bénéficie d’une mise en tranquillité. Dans le nord de ce même département, une colonie est installée dans un tunnel propriété de la communauté de communes du bassin d’Annonay. Une grille a été installée en 1984 afin de garantir la tranquillité du site mais de nouveaux aménagements s’avèrent nécessaire pour pérenniser la situation. Des discussions sont en cours avec la collectivité.
Deux cavités drômoises font l’objet d’une protection règlementaire. La première dotée du statut de réserve naturelle régionale, bénéficie d’une protection physique et, en complément, est inscrite au réseau Natura 2000. La seconde fait l’objet d’un arrêté préfectoral de protection de biotope qui interdit sa visite en période estivale et des travaux ont été faits en collaboration avec le club local de spéléologie afin d’en limiter l’accès.
Quatre autres colonies sont inscrites au réseau Natura 2000 mais ne bénéficient pas de protection règlementaire. Deux sont relativement protégées en raison des difficultés d’accès liées au relief ou au foncier privé.
La situation des colonies en milieu bâti est nettement plus précaire. Certains bâtiments font l’objet de convention de type « Refuge pour les chauves-souris » ou d’accords oraux avec les propriétaires (particulier, Commune, Département ou Etat) garantissant ainsi une certaine pérennité. Trois colonies sont suivies par les Parcs nationaux des Ecrins et de la Vanoise qui entretiennent de bonnes relations avec les collectivités propriétaires des bâtiments en question (Communes, Département), ce qui est un élément-clef pour la pérennité des gîtes. Pour d’autres, la tolérance des propriétaires est précaire et laisse craindre des disparitions de gîtes à court ou moyen terme, notamment en raison d’aménagement des parties occupées par les chauves-souris…
Signalons enfin qu’un contrat Natura 2000 qui a permis de restaurer 20 hectares de pelouses sèches dans le Diois sera probablement bénéfique aux populations de petit murin présentes alentours. Ces secteurs sont maintenant pâturés.
Les murins de la cathédrale de Die
Depuis 1998, une colonie de parturition de grands murins est connue dans les combles de la cathédrale de Die (Drôme) et suivie par les chiroptérologues locaux. De nombreux pigeons domestiques utilisaient aussi le bâtiment pour se reproduire et la présence de cette espèce « indésirable » aurait pu compromettre l’utilisation de la toiture par les murins. En effet, antérieurement à la découverte de cette colonie, la commune de Die avait déjà tenté de chasser les pigeons en grillageant les accès. Fort heureusement ces travaux n’avaient pas été réalisés rigoureusement et oiseaux et chauves-souris pouvaient continuer à occuper le bâtiment. À partir de 2004 la commune de Die décida de venir à bout de la présence de ces pigeons. Le CORA Drôme (futur LPO Drôme) accompagna cette démarche et proposa la réalisation d’abat-sons permettant l’accès aux murins tout en filtrant les pigeons (voir la partie sur l’état des lieux de la protection des gîtes en Rhône-Alpes).
En 2010, une réfection intégrale de la toiture de ce monument historique s’avérait indispensable. La commune et les services de protection des bâtiments classés ont organisé la réalisation de ce chantier en tenant compte de la présence des Chiroptères. Les travaux ont ainsi été étalés sur deux années civiles pour éviter la période de présence des animaux. En avril 2013, les travaux étaient terminés, le toit flambant neuf et les grands murins présents sous la toiture !
Lacunes identifiées et actions à engager
Plusieurs gîtes restent sans doute à trouver notamment dans les départements de l’Ain, de la Loire, de l’Isère et du Rhône. En effet, dans ces départements peu de colonies sont connues mais plusieurs femelles gestantes ou allaitantes ont été capturées, ce qui permet de soupçonner la présence de plusieurs gîtes de mises-bas. En outre, en période de reproduction, une colonie de murins de grande taille peut fréquenter plusieurs gîtes successivement en peu de temps. Ainsi, il reste probablement de nombreux gîtes à identifier y compris dans les secteurs où des colonies sont déjà connues.
En complément, la recherche de colonies dans des secteurs où il existe d’anciens indices de présence est à poursuivre (Basse Maurienne, Combe de Savoie, Sud Ardèche, ouest de la Haute-Savoie…). A l’heure actuelle, la meilleure technique, même si elle peut être couteuse en temps, est la télémétrie. Elle garantit de bons taux de réussite.
La majorité des contacts acoustiques avec le groupe des murins de grande taille ne conduit pas à une détermination spécifique. Sur les colonies, l’espèce présente n’est parfois par connue, ni les proportions des deux espèces quand ces colonies sont mixtes ! Des analyses génétiques réalisées sur du guano pourraient permettre de répondre à ces questions et de déterminer entre autre la taille des populations présentes et les relations entre gîtes. Avec moins de moyens, un suivi plus fin, à différentes périodes de l’été, pourrait permettre de mettre en évidence la présence de l’une et/ou de l’autre des deux espèces.
Malgré la protection de plusieurs gîtes, qu’elle soit physique, règlementaire ou conventionnelle, des efforts en ce sens sont encore à réaliser, notamment sur les colonies localisées en milieu bâti. La colonie du sud Ardèche citée précédemment pourra faire l’objet d’une proposition de mise en protection en fonction des résultats du suivi de la fréquentation.
Le caractère rupestre de ces espèces n’est pas encore bien cerné mais il est indéniable et doit inciter à la vigilance lors de travaux de purge de falaise (projets routiers notamment).
Dernière minute !
Au cours de l’été 2012, les gardes-moniteurs du Parc national ont récolté à intervalles réguliers du guano dans le gîte de Bourg-d’Oisans afin de le faire analyser par l’Université de Franche-Comté. L’objectif était de déterminer les espèces présentes, la phénologie d’occupation du gîte et essayer d’évaluer la taille des populations des deux espèces.
À l’heure où nous écrivons ces lignes, toutes les analyses n’ont pas encore été réalisées mais nous disposons de quelques éléments. Les deux espèces ont été contactées et leurs présences se succèdent comme cela avait déjà pu être observé : les grands murins puis les petits murins.
La principale découverte de cette étude est la présence d’hybrides entre les deux espèces ! Il n’est pas encore possible de préciser ni la proportion, ni la phénologie d’occupation du gîte. Ces résultats et ceux à venir seront publiés prochainement.